LA TRAVERSEE, PIED-NUS, DU LAC DE BRAISE
Je suis un robot, fait de tissus organiques. Je bois, je pense, je me déplace, je mène une vie sociale presque normale, presque, mais pas tout à fait quand même.
Dehors, en bas, dans le jardinet dépendant de l’immeuble où j’habite, les thuyas s’agitent, car le vent les frôle en passant.
Ici, dans ma chambre, il est minuit et quelques, comme cela est indiqué sur le réveil mécanique qui tic et tac près de ma main gauche qui repose à plat sur le bureau où est posée la feuille blanche, enfin presque, sur laquelle j’écris en ce moment.
Il y a du silence et quelques oranges. Je n’aime pas les peler, alors elles resteront assez longtemps dans la soupière à attendre que j’aie vraiment très très envie d’un jus ou de quelques quartiers. Là n’est pas la question.
Il n’y a personne autour de moi. C’est normal. Je vis seul. Mes voisins que je connais à peine, bonjour-bonjour-ça-va-bien-oui-et-vous, dorment certainement.
Il n’est pas si tard. Mais ils travaillent le matin, contrairement à moi. J’ai gagné un concours, ça arrive, organisé par une marque de quelquechose, dont je ne veux pas faire ici de publicité, bien que ce soit leur but, et l’on me verse l’équivalent du SMIG tous les mois pendant dix ans. Il ne m’en faut pas plus, alors je reste chez moi, ou je sors si j’ai besoin de quelque chose, mais je ne travaille pas, moi.
Là n’est pas la question. Du moins, ça n’est pas la principale question.
Je suis un robot et je bois, je pense, je me déplace. Je ne suis pas libre. On me l’a dit, je l’ai lu. J’ai programmé mon ordinateur pour qu’il joue au morpion. Il ne joue pas bien, je ne me suis pas cassé la tête. Mais il fait des choix. Si quatre pions adverses sont alignés, il bloque. Sinon, il fait autre chose. Ça dépend de la configuration.
Il choisit en fonction de ce qui se présente à lui. S’il avait une conscience, il dirait qu’il choisit librement. Mais pas du tout: il fonctionne. Il applique la méthode que je lui ai donnée. Il est bête. Et donc moi aussi. J’ai choisi d’écrire ce soir, mais ça ne dépend pas de moi. Je fonctionne ainsi.
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