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COUP DE COEUR


 

 



L'amicale des contrevenants


PERSONNAGES :
BERNARD, victime
JOCELYNE, femme
INSPECTEUR, l’inspecteur

UNIQUE DECOR
Le studio de Bernard. Une seule grande pièce aménagée avec goût, mais sans excentricité. De beaux livres, quelques bibelots et peintures donnent le sentiment que la personne vivant là possède une certaine culture. Curieusement, certains objets sont à l’envers : chaque fois que l’inspecteur en retournera un, il sera plongé dans une courte rêverie. Deux portes : une pour l’entrée, une pour la salle de bain. Et puis, dans un aquarium rectangulaire, un élevage d’escargots.




LUNDI

Bernard est seul chez lui. Il ne dort pas. On sonne à la porte. Il va ouvrir. L’inspecteur entre.

INSPECTEUR : Monsieur Bernard Tavernier ?
BERNARD : Lui-même.
INSPECTEUR : Inspecteur Vaugirard. Est-ce que je peux entrer ? (Il entre) Nous avons été informés que vous serez assassiné dans la nuit de dimanche à lundi. C’est à dire dans une semaine exactement. Je suis chargé de l’enquête. Vous permettez ? (Il commence à inspecter. Durant toute la scène les deux hommes s’observeront intensément)
BERNARD : Qu’est-ce que vous cherchez ?
INSPECTEUR : Des indices.
BERNARD : Quels indices ?
INSPECTEUR : Toutes sortes d’indices.
(un silence)
BERNARD : Puis-je vous aider dans vos recherches ?
INSPECTEUR : Je crains que non. Ce n’est pas dans l’usage. dans une affaire criminelle la victime ne peut apporter sa contribution qu’en se faisant autopsier. Voulez-vous vous faire autopsier ?
BERNARD : Pas pour l’instant.
INSPECTEUR : Je vous comprends.
BERNARD : Alors… Je vais mourir ? C’est sûr ?
INSPECTEUR : Hélas, oui, Monsieur, je suis désolé.
BERNARD : Si vous trouvez le coupable, vous pourrez l’arrêter avant ?
INSPECTEUR : On n’arrête pas quelqu’un tant qu’il n’a rien fait.
(Il continue à inspecter, s’arrête devant une photo, médusé)
BERNARD : C’est Jocelyne.
INSPECTEUR : Ca, vous n’auriez pas dû me le dire, voyez-vous ? C’est une information. Il faudrait faire très attention.
BERNARD : Je m’excuse (reposant la photo). C’est Jocelyne.
INSPECTEUR : Oui, j’ai compris. Pourquoi ne reprenez-vous pas ce que vous faisiez avant que j’arrive ?
BERNARD : Vous m’avez réveillé.
INSPECTEUR : Vous dormiez à cette heure –ci ?
BERNARD : Je suis veilleur de nuit dans un musée.
INSPECTEUR : Ah bon ? Quel musée ?
BERNARD : Je crois que je ne dois pas vous répondre.
INSPECTEUR : Vous avez raison. Ne nous parlons plus. Comme ça…( Il continue à inspecter, puis revient à la photo de Jocelyne. Il la regarde avec insistance)
BERNARD : Au fait, vous avez un mandat de perquisition ?
INSPECTEUR : Ce n’est pas une perquisition, c’est une enquête relative à un meurtre. Ca se fait automatiquement. Pas besoin de mandat.
BERNARD : Alors je vais devoir vous supporter jusqu’au bout ?
INSPECTEUR : Ce ne sera pas bien long. Une toute petite semaine.
BERNARD : Durant ma dernière semaine j’aurais peut-être préféré faire autre chose que vous contempler.
INSPECTEUR : Faites ce que vous auriez aimé faire. Ne vous occupez pas de moi. Vous pouvez même me donner un double des clefs. Comme ça, vous pourrez aller et venir. Vous n’avez pas confiance ? Je suis de la police, je ne peux rien vous voler.
BERNARD : Je vous laisserai mes clefs lundi prochain, jour de ma mort. Avec un peu de chance, on vous prendra pour moi.
INSPECTEUR : C’est trop aimable.
(Le téléphone sonne. Bernard décroche, l’inspecteur prend l’écouteur)
BERNARD : Allô ? Non, vous êtes chez un particulier. Il n’y a pas de mal. Au revoir.
(Il raccroche)
INSPECTEUR : Qu’est-ce que ça peut bien être, ça, l’Amicale des contrevenants ?
BERNARD : Je ne le leur ai jamais demandé.
INSPECTEUR : A qui ?
BERNARD : Ils font souvent l’erreur. Nous devons avoir à peu près le même numéro.
INSPECTEUR : Vous n’avez qu’à le changer, le votre.
BERNARD : Ca ne me dérange pas. Ca me tient même compagnie.
INSPECTEUR : Vous n’avez pas tellement d’amis, si ?
BERNARD : Je ne dois pas vous répondre.
INSPECTEUR : C’est juste. Bon. Comment procéder ?
BERNARD : C’est à moi de vous le dire ?
INSPECTEUR : Non. Non, bien sûr.
BERNARD : Alors pourquoi me regarder en disant ça ?
INSPECTEUR : Il faut bien regarder quelque chose.
BERNARD : Pourquoi faut-il précisément que ce soit moi ? Le choix ne manque pas.
INSPECTEUR : C’est un hasard, que voulez-vous ? il y a des hasards comme ça. Oh ! les beaux escargots. C’est un élevage ?
BERNARD : Ce sont mes animaux de compagnie.
INSPECTEUR : Tu parles d’une compagnie. Vous en avez un qui est mort.
BERNARD : Je sais.
INSPECTEUR : Est-ce que je peux prendre la coquille ? C’est pour ma fille.
BERNARD : Non.
INSPECTEUR : Elle fait des collages, toutes sortes de personnages avec des coquillages.
BERNARD : (Violemment) J’ai dit non. (Gêné de s’être emporté). J’aimerais bien pouvoir me recoucher. J’ai besoin de sommeil.
INSPECTEUR : Faites comme chez vous !
BERNARD : Je ne dors que dans le calme total.
INSPECTEUR : Ah bon ? Il faut que je parte, alors ? Je ne serai pas resté très longtemps. C’est dommage. Vous avez vraiment besoin de dormir ?
BERNARD : Oui.
INSPECTEUR : Il est vrai que vous vous couchez tard. Attendez ! Vous serez assassiné peu après minuit. Or la nuit, vous êtes au musée. Donc le meurtre sera commis là-bas.(se parlant) Mais quel musée ? Il n’y aurait pas un prospectus… A moins que… si c’était la nuit de repos ? Cette nuit par exemple. (Il examine les vêtements posés sur une chaise, les renifle)
BERNARD : J’étais ici cette nuit.
INSPECTEUR : Mais ne me le dites pas ! La nuit de dimanche à lundi est donc votre nuit de repos. Donc le soir du crime, vous ne serez pas au musée ? Ca complique un peu les choses, car vous pourrez être n’importe où.
BERNARD : Si cela peut simplifier, je m’engage à rester ici.
INSPECTEUR : Donc, voici le lieu du crime. Nous avançons. Et ceci pourrait bien être l’arme du crime.
BERNARD : C’est mon arme de service.
INSPECTEUR : Je vais relever les empreintes.
BERNARD : J’en ai besoin.
INSPECTEUR : Je vous la ramène demain. Pour ce soir, vous ne risquez rien : votre heure n’est pas encore venue. Bien. Une chose encore, je triche un peu mais… je n’ai pas trouvé votre carnet d’adresse.
BERNARD : C’est parce que je n’en ai pas.
INSPECTEUR : Ah ? Bien. Enfin, nous verrons ces empreintes. Bon. Vous allez vous recoucher maintenant ?
BERNARD : Oui.
INSPECTEUR : Alors je vous laisse. Et bon courage pour cette nuit. Je ne sais pas comment on peut vivre comme ça, à l’envers.
BERNARD : Question d’habitude. Demain, donc, venez en fin d’après-midi.
INSPECTEUR : Ca ne nous laisse pas beaucoup de temps chaque jour. Enfin, on fera avec.
BERNARD : A demain inspecteur.
INSPECTEUR : Oui, à demain.