QUI SUIS-JE ?
AGENDA
COUP DE COEUR


 

 



UN CERTAIN OEDIPE


PERSONNAGES :

LAIOS, le roi, cherche à rationaliser tout ce qu’il peut.

JOCASTE, la reine, cherche à satisfaire sa sensualité.

TIRESIAS, le devin, cherche à trouver sa place dans son époque.

CREON, le beau-frère, cherche à occuper le trône.

Tout le monde cherche à résoudre l’énigme mathématique du professeur Sphinx.

Et ŒDIPE, que cherche Œdipe ? A prouver qu’il est différent ? En quoi il est différent ? A être différent ?

Et puis il y a la JEUNE FEMME qui cherche à faire comprendre à Œdipe ce qu’il cherche vraiment.




PREMIÈRE PARTIE

La salle du trône, à Thèbes. LAIOS et JOCASTE.

LAIOS : J’ai un fils. J’ai un fils. J’ai un fils. J’ai un fils. Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça veut dire avoir un fils ? Je suis le père de mon fils. Voilà. Mais je suis aussi le fils de mon père. Bon, et alors ? Remarque : père de mon fils égale fils de mon père. On a une symétrie par rapport à « de ». Alors que une paire de gants et un gant de paires, ou jardin de fleurs et fleur de jardin, ce n’est pas la même chose. A part début de la fin et fin du début… et encore, s’il n’y a pas de milieu, parce qu’alors début de la fin égale fin du milieu et non pas fin du début. Il existe donc bien entre un père et son fils, ou entre un fils et son père un lien très particulier. N’est-ce pas ? On a la même chose, remarque, entre mère et fille. Fille de ma mère, mère de ma fille. Par contre, on ne peut pas dire « je suis le fils de ma mère, et la mère de mon fils ». Donc tu vois, entre une mère et son fils, ça n’est pas pareil. La preuve : j’ai rêvé qu’il me mangeait les pieds. Est-ce que tu rêves des trucs comme ça toi ?

JOCASTE : Tu vas être en retard chez ton psychanalyste.

LAIOS : Tu sais, c’est bizarre, je n’ai pas trop envie d’y aller aujourd’hui. Bien sûr, je vais y aller. Mais la dernière fois, j’ai parlé de mon père. Mon père. J’avais une espèce de rage. C’est curieux, non ?

JOCASTE : C’est ton Œdipe

LAIOS : Certainement. J’avais envie de lui dire « Papa, lorsque tu bois ton lait, il te manque deux petits pois ».
JOCASTE : Qu’est-ce que ça veut dire ?

LAIOS : Je ne sais pas. Mais ça veut forcément dire quelque chose.

JOCASTE : Force toi à y aller. Tu es peut-être sur le point de passer une étape.

LAIOS : C’est la première fois que tu t’intéresses autant à ma psy. Tu attends quelqu’un ?

JOCASTE : Non… Enfin… oui, il y a le devin Tirésias qui doit passer tout à l’heure.

LAIOS : Encore, ce charlatan ?

JOCASTE : Il va me dire mon avenir. Ça me détend.

LAIOS : La seule façon rationnelle de prévoir l’avenir, c’est d’analyser le passé. Le passé détermine le futur. Passé, futur. Passé, futur….

JOCASTE : Et le présent ?

LAIOS : Ca n’existe pas ça ! C’est simplement la frontière entre le passé et le futur. Ça n’a pas de durée. C’est purement théorique.

JOCASTE : Alors toi qui aime tant le théorique, pourquoi ne vis-tu jamais dans le présent ? Tu t’apercevrais d’ailleurs qu’on peut y faire beaucoup de choses très pratiques.

LAIOS : Comme quoi ?

JOCASTE : Toutes sortes de choses. (sonnerie de téléphone. Jocaste décroche.)

JOCASTE : Oui ? Faites-le entrer. (Elle raccroche.) C’est lui. Tu ne pars pas ?

LAIOS : Non, j’ai envie d’écouter. Ça m’instruira.

JOCASTE : Je suis d’accord sur ce point. Ça t’instruirait.

(Tirésias entre.)

TIRÉSIAS : Majesté ! Sire ! Mes hommages.

JOCASTE : Bonjour à toi Tirésias

LAIOS : Bonjour mon cher Tirésias, tu tombes vraiment bien. Quand j’ai su que tu venais, j’ai annulé ma séance. Car vois-tu, j’ai une question qui me tourmente. Et je crois que la science, dans l’état actuel des choses est impuissante à me fournir une réponse. Alors, j’ai pensé qu’un devin…..

JOCASTE : Quelle ânerie va-t-il encore sortir ?

LAIOS : Ce n’est pas une ânerie, ma douce et tendre. Très sérieusement, j’aimerais savoir combien il me reste de cheveux.

TIRÉSIAS : (Il sort une plume de sa poche, la laisse tomber et observe sa chute.) Trente cinq millions deux cent trois mille cent douze.

LAIOS : Et il a le culot de me répondre !

TIRÉSIAS : Vous m’avez posé la question, sire.

LAIOS : Tu peux me dire n’importe quoi, puisque je n’ai pas la réponse.

TIRÉSIAS : Si vous aviez eu la réponse, sire, vous n’auriez pas eu besoin de ma poser la question.

JOCASTE : Puisque te voici parmi nous, mon cher Tirésias, que vas-tu nous apprendre ?

TIRÉSIAS : Majesté, j’ai longuement observé le vol des oiseaux, les jours passés. Les dieux, à travers eux, m’ont indiqué clairement et sans qu’aucun doute ne soit permis, que l’enfant que vous attendez, sera un fils.

LAIOS : C’est bien Tirésias.

JOCASTE : C’est un garçon, effectivement. Avais-tu autre chose à nous dire ?

TIRÉSIAS : Comment, c’est un garçon ? Il est né ?

JOCASTE : Ca fait une bonne semaine.

TIRÉSIAS : Ah ? Et bien, personne ne me l’a dit en tout cas.

LAIOS : On ne parle que de ça dans toute la cité. Trois jours et trois nuits de réjouissances.

TIRÉSIAS : J’ai remarqué effectivement qu’il y avait beaucoup de remue-ménage, mais j’étais tellement absorbé à observer le ciel ces derniers jours…..

LAIOS : Enfin voilà ! C’est gentil en tout cas d’être passé nous voir.

JOCASTE : Attends ! Tant qu’il est là, il va bien nous faire encore une petite prédiction ou deux ?

LAIOS : Pourquoi pas ? On n’est jamais déçu. Mais vite. Je vais être en retard chez mon psy.

TIRÉSIAS : Vous venez donc d’avoir un fils, et peut-être désireriez vous connaître son avenir ?

JOCASTE : Nous aimerions le connaître, oui. Cet enfant est déjà tellement différent.

LAIOS : A mon avis, voyez-vous, il sera roi de Thèbes. Car quand on est fils du roi de Thèbes, il y a de fortes chances pour que cela vous arrive.

TIRÉSIAS : Nous allons voir ça. (Il se prépare à laisser tomber une plume.)

LAIOS : La divination, ou l’art de comprendre le monde en regardant tomber les plumes.

TIRÉSIAS : Je ferai remarquer à sa majesté le roi, qu’un physicien, et non des moindres, a eu sa grande révélation grâce à la chute d’une pomme. Moi j’utilise une plume. C’est plus léger et sa chute, plus lente, est donc parfaitement observable.

LAIOS : Plus léger encore est ton cerveau. As-tu essayé avec ?

TIRÉSIAS : J’en ai un autre usage, sire.

LAIOS : Vraiment ? Lequel ?

JOCASTE : Si tu laissais choir ta plume, que je puisse connaître l’avenir de mon fils ?

TIRÉSIAS : (Il laisse tomber la plume.) Il sera roi de Thèbes.

LAIOS : Tiens ?

TIRÉSIAS : Très jeune.

LAIOS : Pourquoi très jeune ?

TIRÉSIAS : Parce que vous mourez jeune.

LAIOS : Mort de quoi ? Je suis en parfaite santé.

TIRÉSIAS : (Rejette la plume.) Vous serez assassiné.

LAIOS : Assassiné, moi ? Par qui ?

TIRÉSIAS : (Rejette la plume.) Je… voudrais en être sûr. Une plume ne suffira pas. Et je n’en ai qu’une sur moi.

JOCASTE : Tu veux un oreiller ?

TIRÉSIAS : Bonne idée. (Il ouvre un oreiller et jette toutes les plumes en l’air.) Oh là là ! Oh là là !

JOCASTE : Tu nettoieras tout ça ensuite.

LAIOS : Attends ! Pourquoi dit-il « Oh là là ! Oh là là ! » ?

TIRÉSIAS : C’est votre fils qui vous tuera.

LAIOS : Ah ! Ciel ! Mais ça ne m’étonne pas. Voilà pourquoi mon rêve.

TIRÉSIAS : Ensuite, il couchera avec sa mère.

JOCASTE : Non !

LAIOS : Ah ! Ciel ! Mais ça ne m’étonne pas non plus.